exposition abbaye de Noirlac

À propos des installations plastiques et musicales :
Par delà de Philippe CHARLES et les vagues de la lune de Jean-Christophe FELDHANDLER
Contexte et collaborations :
Au sein de l’Abbaye de Noirlac, dans le Cher, magnifique monument reflet de l’ascétisme monacal, Athenor, scène nomade de création et de diffusion, met en place un événement intitulé « le bruit du regard » du 15 avril au 15 juillet 2018, coproduit avec l’Abbaye de Noirlac et l’association Ryoanji.
Cet événement s’articule autour de l’installation au sein de l’Abbaye d’un corpus d’œuvres plastiques de Philippe Charles, en dialogue avec des pièces musicales du compositeur Jean- Christophe Feldhandler.


Leur collaboration ces quinze dernières années leur a permis de tisser de multiples modalités de résonance entre leurs univers respectifs, qui ont déjà donné lieu à des concerts-video (Terrain vague, 2005, Woman, 2009, Portraits composites, 2010), des projections immersives (Tulipe, 2002, Third, 2012, Bruissements de Brière, 2015), et une série de miniatures vidéo (Les Instamatics, 2008-2010). Et ces dernières années, un chantier de résidences de création intitulé « Pour les oiseaux » et orchestré par Athénor, dans des Parcs Naturels Régionaux, leur a permis de nourrir l’écriture d’un conte Lyrique, en trio avec Jean-Luc Raharimanana (Imaïntsoo, 2017). Leur installation croisée à Noirlac est imprégnée du vocabulaire de cette dernière réalisation. Athénor a d’ailleurs invité Jean-Luc Raharimanana à s’associer à l’événement, par l’écriture d’un texte en relation avec le lieu.

Pour la réalisation du dispositif de diffusion sonore, Jean-Christophe Feldhandler a travaillé en collaboration avec Christophe Havard. Celui-ci a aussi produit des prises de son de l’acoustique du lieu, de ses espaces et sonorités remarquables, montées en insertion avec les parties musicales, dont l’enregistrement, dans l’Abbaye même, a permis d’imprégner la musique de la matière sonore du lieu.

Martine Altenburger, au violoncelle, Sylvie Deguy, Géraldine Keller et Aurélie Maisonneuve, à la voix, et Jean-Christophe Feldhandler, aux percussions ont donc résidé au sein de l’Abbaye durant l’hiver, pour y finaliser l’interprétation.
Canne auxiliaire-labradorite (détail), Philippe Charles, bois cristaux crin et corne, 2009
Convergence de langages :
C’est en se dirigeant vers les 3 chambres de moines au sein de l’Abbaye de Noirlac que nous ferons l’expérience d’un cheminement mêlant l’architecture, lieu d’une vie d’ascèse traversé par les siècles, à la présence des œuvres de Philippe CHARLES et Jean-Christophe FELDHANDLER.
Nous pénétrons dans un couloir, long de 30m. À l’une de ses extrémités la lumière traverse une impression photographique de cristaux, la première. Installées sur les fenêtres, les cristaux jalonnent le parcours en apportant une vibration colorée particulière à chaque espace. Ici le rouge vif de la rhodochrosite apporte sa tonalité à ce long couloir intermédiaire par lequel nous accèderons aux différentes chambres. À chaque extrémités du couloir, deux haut-parleurs se répondent. Entre eux circulent des sons concrets de l’abbaye et des sonorités musicales de rhombe, un instrument rituel qui nous vient du paléolithique. Encore utilisé aujourd’hui par les aborigènes d’Australie, afin d’apaiser les esprits d’un lieu, la sonorité du rhombe est activée par le mouvement, tournoyant, qui matérialise l’air et sa spatialité. Nous voici passagers d’un voyage qui peut enfin commencer.

Deux chambres jumelles séparées par une bibliothèque accueillent des photos de la série Base (2008), portraits d’arbres majestueux des forêts pluviales australiennes, cathédrales d’une végétation immémorielle, vus depuis leur base, jonction entre la terre et l’air, d’où s’élève le tronc, où plongent les racines.
Base #4, tirage lambda contrecollé sur dibond et plexiglass, 110 x 150, 2008
Dans chaque chambre, un grand tirage de Base et une pièce musicale intitulée Arbre, en immersion. Arbre 1 pour tambour, Arbre 2 pour violoncelle percuté et soufflé, même écriture, instruments différents, se font échos, en miroir, par la persistance du son, bien qu’atténué par les frontières murales. Dans chaque chambre, un petit cabinet, exigu, baigné de la lumière vibratoire de cristaux, avec en écoute individuelle, au casque, des pièces pour violoncelle et trio vocal.


La composition de ces pièces est habitées de références musicales (Palestrina, compositeur du XVIeme siècle avec son madrigal Deh, or foss’io col vago della luna, et un de ses contemporains, Gesualdo, Dolcissimo mia vita, ainsi que Morton Feldman et son Palais de Mari).
Toujours dans chaque chambre un autre cabinet, avec des mini boîtes lumineuses de Bases, offrent une relation plus intime à l’image.
Entre les deux chambres, la bibliothèque. Sas, trait d’union, espace interstitiel, habité d’une chaude lumière en vortex, d’où se perçoit le son des deux chambres en stéréo, et où sont disposées deux cannes auxiliaires, l’une composée de labradorite, l’autre de pierre de lune. Chacune offre son potentiel de liaison entre le minéral et l’organique, pour peu que celui/celle qui s’en saisit, se rende disponible aux émissions subtiles et pénétrantes des cristaux, conduites par le bois de noisetier dont l’axe de la canne est constitué.

Image extraite de l’installation Par Delà.


Puis nous repassons par le couloir, afin d’accéder à la troisième chambre, la chambre vidéo.
Quatre écrans synchronisés diffusent un montage vidéo où se succèdent les paysages, traversés par la présence de l’eau. Lenteur, contemplation, glissement d’un paysage à l’autre et apparition d’un personnage de fillette, candide, radieux, à la fois sauvage et sophistiquée, dans les gestes, la parure, sa cape, son bâton. Elle est dans son monde, habite cette nature, arpente, recueille, se blottit, joue, vit, pieds nus sur les feuilles des sous bois, la mousse des sentiers, l’eau clair des ruisseaux.
Dans la chambre vidéo une ritournelle, violoncelle et voix, une citation de Bach (extrait de l’art de la fugue) interprétée par le trio vocal, fredonné par la violoncelliste, une réinterprétation des pièces pour percussion à la voix, font échos à l’enfance, à l’environnement de la forêt humide sous nos yeux. L’ensemble des corpus musicaux du parcours se retrouvent ici, montés selon un processus aléatoire Cagien, faisant appel au tirage du Yi King.
C’est une longue traversée de presque une heure qui nous est proposée dans cette chambre vidéo. Le temps de prendre le temps de la reliance.
Par-delà, quadriptyque vidéo, 50 minutes, 2018
Laëtitia Bourget, 2018